Les Indes noires
3 stars
1) "«Mr. J. R. Starr, ingénieur,
«30, Canongate.
«Edimbourg
«Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houillères d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarow, il lui sera fait une communication de nature à l'intéresser.
«Monsieur James Starr sera attendu, toute la journée, à la gare de Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.
«Il est prié de tenir cette invitation secrète.»"
2) "L'ingénieur regardait donc autour de lui d'un œil attristé. Il s'arrêtait par instants pour reprendre haleine. Il écoutait. L'air ne s'emplissait plus à présent des sifflements lointains et du fracas haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noirâtres, que l'industriel aime à retrouver, mêlées aux grands nuages. Nulle haute cheminée cylindrique ou prismatique vomissant des fumées, après s'être alimentée au gisement même, nul tuyau d'échappement s'époumonant à souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussière de la houille, avait …
1) "«Mr. J. R. Starr, ingénieur,
«30, Canongate.
«Edimbourg
«Si monsieur James Starr veut se rendre demain aux houillères d'Aberfoyle, fosse Dochart, puits Yarow, il lui sera fait une communication de nature à l'intéresser.
«Monsieur James Starr sera attendu, toute la journée, à la gare de Callander, par Harry Ford, fils de l'ancien overman Simon Ford.
«Il est prié de tenir cette invitation secrète.»"
2) "L'ingénieur regardait donc autour de lui d'un œil attristé. Il s'arrêtait par instants pour reprendre haleine. Il écoutait. L'air ne s'emplissait plus à présent des sifflements lointains et du fracas haletant des machines. A l'horizon, pas une de ces vapeurs noirâtres, que l'industriel aime à retrouver, mêlées aux grands nuages. Nulle haute cheminée cylindrique ou prismatique vomissant des fumées, après s'être alimentée au gisement même, nul tuyau d'échappement s'époumonant à souffler sa vapeur blanche. Le sol, autrefois sali par la poussière de la houille, avait un aspect propre, auquel les yeux de James Starr n'étaient plus habitués.
Lorsque l'ingénieur s'arrêtait, Harry Ford s'arrêtait aussi. Le jeune mineur attendait en silence. Il sentait bien ce qui se passait dans l'esprit de son compagnon, et il partageait vivement cette impression,—lui, un enfant de la houillère, dont toute la vie s'était écoulée dans les profondeurs de ce sol."
3) "Si, par quelque puissance surhumaine, des ingénieurs eussent pu enlever d'un bloc et sur une épaisseur de mille pieds toute cette portion de la croûte terrestre qui supporte cet ensemble de lacs, de fleuves, de golfes et les territoires riverains des comtés de Stirling, de Dumbarton et de Renfrew, ils auraient trouvé, sous cet énorme couvercle, une excavation immense, et telle qu'il n'en existait qu'une autre au monde qui pût lui être comparée,—la célèbre grotte de Mammouth, dans le Kentucky."
4) "Quoi qu'il en soit, il y avait là, dans le sous-sol écossais, une sorte de comté souterrain, auquel il ne manquait, pour être habitable, que les rayons du soleil, ou, à son défaut, la clarté d'un astre spécial.
L'eau y était localisée dans certaines dépressions, formant de vastes étangs, ou même des lacs plus grands que le lac Katrine, situé précisément au-dessus. Sans doute, ces lacs n'avaient pas le mouvement des eaux, les courants, le ressac. Ils ne reflétaient pas la silhouette de quelque vieux château gothique. Ni les bouleaux ni les chênes ne se penchaient sur leurs rives, les montagnes n'allongeaient pas de grandes ombres à leur surface, les steamboats ne les sillonnaient pas, aucune lumière ne se réverbérait dans leurs eaux, le soleil ne les imprégnait pas de ses rayons éclatants, la lune ne se levait jamais sur leur horizon. Et pourtant, ces lacs profonds, dont la brise ne ridait pas le miroir, n'auraient pas été sans charme, à la lumière de quelque astre électrique, et, réunis par un lacet de canaux, ils complétaient bien la géographie de cet étrange domaine."
5) "Nell ne pouvait parler. Ses lèvres ne murmuraient que des mots vagues. Ses bras frémissaient. Sa tête était prise de vertiges. Un instant, ses forces l'abandonnèrent. Dans cet air si pur, devant ce spectacle sublime, elle se sentit tout à coup faiblir, et tomba sans connaissance dans les bras d'Harry, prêts à la recevoir.
Cette jeune fille, dont la vie s'était écoulée jusqu'alors dans les entrailles du massif terrestre, avait enfin contemplé ce qui constitue presque tout l'univers, tel que l'ont fait le Créateur et l'homme. Ses regards, après avoir plané sur la ville et sur la campagne, venaient de s'étendre, pour la première fois, sur l'immensité de la mer et l'infini du ciel."